Introduction
Agriculture et zones humides
Maîtrise et gestion des zones humides
La gestion intégrée des zones
humides
Conclusions
Zone humide, par Rousso
Un an après la remise du rapport de l'instance d'évaluation, le Plan d'action gouvernemental pour la reconquête des zones humides se met en place.
Un programme de recherche triennal de 15 MF, cofinancé par l'Etat
et par les agences de l'Eau a été mis en route. Il permettra
sur dix sites représentatifs d'étudier et définir de
nouvelles méthodes de gestion-conservation de ces milieux, dont les
enseignements profiteront à l'ensemble des zones humides. L'Institut
français de l'environnement (IFEN) et le Muséum national d'histoire
naturelle (MNHN) étudient les conditions de mise en place de
l'Observatoire national des zones humides.
Un premier document de sensibilisation générale intitulé
Entre terre et eau, tiré à plus de 50 000 exemplaires
(1), rappelle l'importance que
les pouvoirs publics attachent à ces milieux et les moyens mis à
la disposition des acteurs locaux pour leur sauvegarde. L'inventaire des
sites susceptibles d'être désignés pour la directive
Habitat est maintenant terminé et conduira prochainement à
identifier un premier ensemble de zones sensibles, base du futur réseau
Natura 2000 européen.
L'élaboration des projets de schémas directeurs d'aménagement
et de gestion des eaux (SDAGE) est réalisée dans les 6
comités de bassin : la part consacrée à la restauration
des milieux naturels dans ces documents est importante. L'inventaire des
zones humides, l'état de leur situation ont été
complétés et en particulier 257 sites « remarquables »
de zones humides ont été identifiés à cette occasion.
Ces sites devraient faire rapidement l'objet de projets de plan de gestion,
visant à assurer une cohérence entre des objectifs de conservation
et de gestion. Des consultations publiques vont être prochainement
engagées sur ces documents.
De nombreuses initiatives ont été engagées pour
expérimenter de nouveaux modes de gestion de ces milieux avec l'appui
d'aides financières européennes, de l'Etat et des agence de
l'Eau. Il reste, certes, encore beaucoup d'efforts à réaliser
pour inverser la tendance continue à la régression des zones
humides ; il faut en particulier instaurer de nouvelles méthodes
d'évaluation de l'impact des grandes infrastructures.
Il reste surtout à imaginer de nouveaux modes de gestion agricoles
adaptés aux zones humides. En effet, la Politique agricole commune
(PAC) a induit paradoxalement une reconversion profonde des prairies en terres
labourables (1,2 millions d'hectares de 1982 à 1992 en France) qui
a constitué un des facteurs les plus dommageables aux zones humides.
Un dispositif particulier de mesures agri-environnement a été
mis en place pour inciter les agriculteurs à adopter de nouvelles
pratiques agricoles, moins agressives pour l'environnement, sur des zones
sensibles, notamment par le maintien (ou le retour) de prairies ou cultures
traditionnelles extensives avec une utilisation réduite, voire nulle,
d'engrais et produits phytosanitaires.
A ce jour les aides directes de la PAC à l'Organisation communautaire des marchés (OCM) - grandes cultures (céréales, protéagineux...) et élevages - constituent, toujours, une incitation à la poursuite de systèmes agricoles intensifs très dommageables aux zones humides. Les mesures agri-environnement restent encore trop faibles pour compenser ces effets. De nombreux pays de l'Union européenne et la commission souhaitent un rééquilibrage des systèmes d'aide européens en faveur de nouveaux modes de gestion agricole.
« La prochaine réforme de la PAC (en 1996) doit veiller encore
plus à l'utilisation rationnelle et à la conservation des zones
humides. Il convient d'étendre davantage les possibilités offertes
par le régime d'aides agri-environnementales [...]. D'autre part,
les subventions versées aux agriculteurs dans le cadre de la PAC devront
être soumises de plus en plus à des considérations d'ordre
écologique, dont l'application mesurée des pratiques susceptibles
de nuire au fonctionnement des écosystèmes humides [...] »
(rapport de la Commission européenne du 29 mai 1995).
La France a adopté jusqu'à ce jour une position plutôt
réservée sur la promotion de systèmes agricoles extensifs,
par souci de défendre la compétitivité de l'agriculture
française. Les zones humides, dont la superficie globale est d'environ
2 millions d'hectares en France, représentent moins de 7% de la surface
agricole utile (SAU). Il est possible, sans doute, de concevoir la promotion
de modes de gestion agricole adaptés à la sensibilité
de ces milieux sans remettre en cause la place de l'agriculture française
au plan mondial.
La recherche agronomique doit fournir de nouveaux outils pour aborder ces nouveaux enjeux.
Restaurer les zones humides est une priorité nationale, c'est aussi
une obligation internationale que nous avons acceptée en adhérant
à la convention de Ramsar et à la convention sur la
biodiversité de Rio-de-Janeiro. Sous réserve de poursuivre
avec continuité le plan d'action décidé par le gouvernement,
le 22 mars 1995, la France devrait être capable de montrer d'ici quelques
années que, non seulement les zones humides peuvent être
préservées, mais aussi que les sites prestigieux fortement
dégradés peuvent être reconquis.
Conquérir les zones humides, longtemps, ce fut la colonisation de
nouvelles terres par les monastères au Moyen Age, ce fut la création
de polders au XVIIe siècle, ce furent aussi les grands travaux
engagés par l'Etat au siècle dernier, comme la plantation de
la forêt des landes de Gascogne. Plus récemment et jusque dans
les années 1960-1970, ce furent l'aménagement touristique et
l'urbanisation des cordons des étangs littoraux de Languedoc-Roussillon,
l'attaque des berges de grandes vallées inondables pour en tirer des
matériaux de construction, le drainage des marais de l'Ouest atlantique
pour l'agriculture. Aménager et assécher de vastes milieux
dits « insalubres » pour y permettre l'installation de nouvelles
implantations humaines fut l'oeuvre de nos anciens ; ce rappel n'est nullement
dirigé contre eux, mais témoigne seulement de moeurs très
différentes des nouvelles sensibilités contemporaines. La
disparition de centaines de milliers d'hectares de zones humides a
été la contre-partie de cette volonté de la
société d'occuper ces territoires.
Reconquérir les zones humides, aujourd'hui c'est essayer de redonner vie aux marais, tourbières, vasières, préserver celles qui subsistent, restaurer celles qui disparaissent.
Jean-Luc Redaud a remis au ministère de l'Environnement, en octobre 1995, un rapport de mission intitulé Propositions pour la mise en place du Plan d'action pour la protection et la reconquête des zones humides, dont le texte ci-dessus résume les principaux éléments.
Ce rapport est articulé en 14 chapitres : 1. Observatoire ; 2. Programme de recherche ; 3. Loi sur l'eau, SDAGE et SAGE ; 4. Directive Habitat ; 5. Agriculture et zones humides ; 6. Gestion des espaces et activités concurrentes ; 7. Maîtrise et gestion des zones humides ; 8. Les agences de l'Eau ; 9. Information, sensibilisation et formation ;10. Le rôle du ministère de l'Environnement ; 11. La gestion intégrée des zones humides ; 12. Conclusions ; 13. Résumé des propositions ; 14. Annexes.
On lira ci-dessous, les chapitres 5, 7, 11 et 12, livrés en bonnes feuilles.
La réforme de la PAC
Les années récentes se sont traduites par une réduction importante des prairies naturelles, conséquence des effet de la PAC. « Entre 1982 et 1992 l'assolement des régions françaises a été profondément modifié : la surface en terres labourables s'est accrue de 1,2 millions d'hectares, essentiellement par retournement des prairies naturelles et temporaires ; l'affirmation du maïs fourrage en tant que mode d'alimentation des bovins a transformé le paysage des régions d'élevage du Grand Sud-Ouest ; un développement considérable des soles de tournesol, pois et colza ainsi que l'extension de l'aire de culture du maïs-fourrage ont été constatés dans des régions traditionnelles d'élevage (Alsace, Lorraine, Val de Saône, etc.) ».(2)
La réforme de la PAC de 1992, en instaurant un système d'aides directes aux exploitants de céréales en substitution du soutien des prix, combiné avec l'obligation de jachères, n'a fait dans un premier temps qu'accélérer ce phénomène.
Fin 1994 la surface agricole utile (SAU) en France se décompose comme suit :
Terres arables 19 950 000 ha
(dont céréales) (9 620 000 ha)
Prairies et STH productives 11 410 000 ha
STH peu productives 1 890 000 ha
Vergers, vignes 1 260 000 ha
TOTAL SAU 29 800 000 ha
Les agriculteurs les plus dynamiques, soucieux de se positionner sur de bonnes surfaces de référence en céréales et oléo-protéagineux (SCOP) et de disposer de possibilité de jachères, se sont empressés de retourner les prairies les plus fertiles en terres labourables.
Les zones périphériques des zones humides (bords de rivières, étangs...), ainsi que des champs de captage ont été touchés de manière privilégiée : ce sont des terres faciles à mettre en culture pourvu qu'elles puissent être drainées, actions d'équipement facilitées par les aides des conseils généraux.
Les aides compensatoires de l'ordre de 2 000 F/ha (céréales) à 3 500 F/ha (protéagineux), des rendements de référence convenables et le maintien de cours mondiaux supérieurs aux prévisions ont effectivement optimisé le revenu des systèmes culturaux intensifs, notamment pour le blé et le maïs.
En contre-partie des aides directes, les agriculteurs doivent s'engager à geler 15% de leur SAU sur 6 ans en « gel rotationnel » (ou, à partir de 1994, 20% en « gel libre »). Les terres gelées bénéficient d'une prime du même ordre de grandeur que celle des terres cultivées (et a priori plus intéressante que les mesures de retrait prévues par les mesures agri-environnement).
L'ensemble de ce dispositif repose sur une adhésion volontaire des agriculteurs. Les pouvoirs publics n'ont pas les moyens d'imposer le choix des terres susceptibles d'être gelées.
Le gel « libre » aurait pu constituer un moyen de protection sous réserve de pouvoir le cibler sur les milieux sensibles (bords de rivières, captages, etc.).
Cette voie se développera peut-être à l'avenir, mais on peut craindre que sur la base de l'adhésion volontaire elle concerne plutôt des terres de seconde catégorie mises en réserve dans le cadre d'extensions d'exploitations et non les terres fertiles de vallées : c'est déjà le cas en Champagne et Lorraine, où l'on constate des acquisitions de terres de plateaux par les grandes exploitations céréalières.
A la demande de la profession agricole, arguant de la forte demande de
céréales sur les marchés internationaux, le Conseil
européen de l'agriculture vient de décider de ramener le taux
de jachère à un taux unique de 10%.
Les aides directes grandes cultures (céréales, protéagineux,
lin) et les diverses formes de gel des terres ont concerné en 1994
450 000 exploitants pour un montant de 23 milliards de francs. C'est le mode
privilégié d'installation pour les jeunes agriculteurs et pour
l'agrandissement des exploitations à base
céréalière.
Seule une réorientation profonde des mécanismes économiques
actuels de la PAC en faveur des prairies naturelles et des élevages
extensifs permettrait de corriger les effets constatés de l'agriculture
sur les milieux humides.
La révision de la PAC, qui doit intervenir en 1997, peut être l'occasion de donner un nouvel élan en ce sens.
Au delà de la dégradation des milieux naturels, les effets économiques induits par les cultures intensives sont importants. Le coût d'exploitation des unités de dénitrification pour l'alimentation en eau potable est de 1 à 2 F/m3, soit pour un champ captant stockant 200 mm/ha/an d'eau, une charge (« externalité économique ») de l'ordre de 2 000 à 4 000 F/ha.
Mesures agri-environnement
Depuis 1985, dans le cadre de l'article 19 du règlement CEE 797/95, les Etats membres de la CEE (devenue Union européenne) peuvent, dans les zones sensibles du point de vue de l'environnement, établir des contrats avec les agriculteurs. Le Royaume-Uni constitue l'un des Etats membres les plus avancés dans l'application de ces mesures puisque, dès 1988, 19 opérations avaient été mises en place dans les « Environmentally Sensitive Areas » (ESA) couvrant 785 600 ha; en 1992 110 000 ha pour 3 000 exploitations étaient sous contrat.
La France ne s'est engagée dans cette voie qu'en 1992 en application du nouveau règlement 2078/92 du 30 juin 1992. Celui-ci a défini un ensemble de mesures agri-environnement comme dispositif d'accompagnement en faveur de « zones sensibles du point de vue de l'environnement et des ressources naturelles... ». Ce règlement vise principalement le maintien des prairies permanentes.
La prime à l'herbe 300 F/ha - est le socle de ce dispositif.
Instaurée pour cinq ans, elle concernait en 1993 quelque 120 000
éleveurs et 5,8 millions d'hectares pour un montant d'environ 1 milliard
de francs. Elle n'implique que des contraintes environnementales très
réduites : charge inférieure à 1,4 unité gros
bétail (UGB)/ha. Clos en principe en 1993, ce dispositif a été
étendu aux éleveurs ayant déposé un dossier en
1994.
Cette disposition, bien adaptée aux pâturages de montagne, peut
faire l'objet d'aides complémentaires compensant des pertes de revenus
liées à des contraintes environnementales supplémentaires:
réduction d'intrants, retards de fauche. Les zones humides ont
constitué le domaine privilégié d'application de ces
dispositions.
A ce titre, les mesures agri-environnement prévoient des primes variant
de 300 F/ha à 800 F/ha (contrats à cinq ans de maintien de
prairies avec contraintes d'exploitation), 1 500 F/ha à 2 000 F/ha
(contrats à long terme de maintien de prairies sans fertilisation),
2 000 F/ha (reconversion en prairies de terres arables, aide cumulable avec
les précédentes)
Ce dispositif est financé pour moitié par l'UE et pour moitié
par le ministère de l'Agriculture dans le cadre d'un champ d'aides
réservées aux agriculteurs et géré par le
Comité national d'aménagement des structures des exploitations
agricoles (CNASEA) et les Associations départementales d'aménagement
des structures des exploitations agricoles (ADASEA). Quelques opérations
ont fait l'objet d'un complément de financement par des conseils
généraux.
La France s'est engagée tardivement dans la mise en place de ces mesures.
Fin 1993, 62 opérations agri-environnement avaient été
agréées par le Comité technique national agriculture
et environnement (CTNAE), dont 33 approuvées par la
CEE (3). Ces projets sont
susceptibles à terme de concerner 772 000 ha potentiellement primables
dont 238 000 ha finançables.
Le budget global des opérations adoptées, fin 1993, mobilise environ 120 MF financés pour 50% par la CEE, 53 MF par le ministère de l'Agriculture et 8 MF par des collectivités locales. Les mesures relatives aux 33 opérations adoptées par la CEE concernent 325 000 ha dont 115 000 ha primables.
Ces projets portent sur:
- la réduction des pollutions de l'agriculture intensive : 4
opérations ;
- des secteurs de biotopes rares et sensibles : 28 opérations ;
- la prévention de la déprise agricole : 26 opérations
;
- le pâturage sous forêt en zone méditerranéenne
: 4 opérations.
Les opérations menées au titre des 2 premiers items et la plupart
de celles conduites au titre de la déprise (protection de tourbières
ou de sources) concernent des zones humides, soit environ 55 sites couverts
sur les 87 sites prioritaires identifiés au niveau national.
Les enjeux financiers sont sans commune mesure avec les aides directes :
pour un département céréalier moyen, type Meuse, les
surfaces de référence « céréales,
oléo-protéagineux » (225 000 ha) mobilisent environ 500
MF/an ; l'opération groupée d'aménagement foncier (OGAF)
« Vallée de la Meuse » mobilise 2 MF/an pour une surface
de 2 300 ha sur un périmètre de 7 000 ha.
Il est difficile à ce jour de tirer un bilan de ces mesures
agri-environnement dont beaucoup sont en phase de démarrage. Le
succès repose sur une adhésion volontaire des agriculteurs
qui, globalement, réagissent plus en fonction du devenir de leurs
exploitations que de la prise en compte de contraintes environnementales.
Le premier bilan des OGAF-Environnement dans les marais de l'Ouest
réalisé par les ADASEA de Charente-Maritime, Deux-Sèvres
et Vendée montre que :(4)
- l'OGAF a garanti pendant 5 ans l'entretien extensif de surfaces en prairies
non négligeables, 36 000 ha, soit plus de 60% des surfaces des
périmètres retenus ;
- l'OGAF compense la perte de produits liée à l'introduction
de nouvelles pratiques. En ce sens, elle n'a pas de caractère incitatif
: le cahier des charges est souvent en accord avec les pratiques usuelles
sur les prairies naturelles de marais ;
- dans cette région où la grande majorité des prairies
potentiellement labourables avaient été retournées au
cours des cinq dernières années (réduction de 30 à
50% des surfaces en prairies) l'opération ne suffit pas à
générer des retours en prairies ;
- la motivation des contractants reste majoritairement financière.
L'implication des agriculteurs dans la protection des milieux n'est pas
véritablement atteinte.
Le Marais poitevin représente 81 000 ha de marais et de prairies humides,
dont 5% en réserves naturelles, qui ont subi depuis vingt ans
d'importantes transformations ; au total, près de 30 000 ha de prairies
humides ont disparu. Cette dégradation s'est traduite par la perte
du label « parc naturel régional » en 1991 et par une
énorme régression du site d'hivernage d'oiseaux d'eau de la
baie de l'Aiguillon.(5)
Ces constatations semblent pouvoir être généralisées
:
- sur le val de Saône, l'opération agri-environnement du secteur
de Manziat (Ain) a permis la préservation de 3 000 ha de prairies,
dont 50% avec des objectifs de protection écologique. Mais ceci n'a
pas empêché l'augmentation de zones de cultures en maïs,
notamment en Côte-d'Or et en Saône-et-Loire, opérations
facilitées par des programmes de drainage importants des conseils
généraux. La mise en culture de prairies en zones
périodiquement inondables conduit aujourd'hui à la demande
de nouvelles protections contre « les petites crues débordantes
» ; la culture du maïs a progressé près de nombreux
champs captants (Seurre, Chalons-sur-Saône) et risque de conduire à
l'obligation d'intervenir lourdement pour le traitement de l'eau potable
(350 MF selon les estimations du syndicat mixte de la vallée). La
zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et
floristique (ZNIEFF) de Seurre est déjà fortement transformée
;
- sur la vallée de la Meuse, le taux d'adhésion à l'OGAF
est resté faible (moins de 25% des agriculteurs) ; les contrats
signés visent pour l'essentiel le maintien de prairies de manière
traditionnelle. Peu de jeunes agriculteurs se montrent intéressés,
ils préfèrent saisir les occasions d'installation ou d'extension
sur des terres à céréales ;
- en Camargue, les éleveurs ont opté pour le niveau de contraintes
minimal, correspondant à l'élevage traditionnel. Le parc naturel
régional (PNR), association de propriétaires fonciers, n'a
pas véritablement défini de stratégie de protection
forte d'un milieu pourtant exceptionnel ; le territoire de la réserve
naturelle est, lui-même, soumis à une forte pression agricole.
La transformation du statut du parc en syndicat mixte de collectivités
locales, conformément à l'article 46 de la loi du 2 février
1995, permettra, peut-être, d'organiser un partenariat plus efficace
entre l'ensemble des acteurs locaux ;
- en Languedoc-Roussillon, les opérations agri-environnement qui visaient
des réductions d'intrants sur l'arboriculture et le maraîchage
n'ont pas encore à ce jour abouti ;
- sur les barthes de l'Adour, dans le département des Landes, le taux
d'adhésion est relativement satisfaisant (plus de 60 % en deux ans).
Ceci correspond à un contexte particulier. Du fait d'un parcellaire
émietté et de l'absence de drainages agricoles, la menace provenait
du développement de zones de boisement et non de champs de
céréales. Une forte sensibilité locale, liée
à la chasse, et la possibilité pour les exploitations de s'agrandir
à la périphérie des zones humides expliquent cette
réussite. Cet exemple ne suffit pas cependant à faire école
puisqu'on peut constater, à l'aval, en bordure du fleuve, dans un
contexte voisin, le développement de soles importantes en maïs
dans le département des Pyrénées-Atlantiques.
Il est caractéristique de constater que, dans l'ensemble des mesures
proposées au titre agri-environnement, le gel à long terme
ou le retour à des prairies, même avec des niveaux de compensation
de l'ordre de 2 500 à 3 000 F/ha, n'a pratiquement aucun succès.
La crainte de l'agriculteur de perdre la liberté de faire évoluer
son exploitation pèse aussi lourd dans ce choix que l'insuffisance
des niveaux d'indemnisation.
La profession agricole considère que les mesures agri-environnement
sont plutôt des mesures d'accompagnement agricole que des mesures
environnementales.
Le bénéfice de ces mesures au profit de propriétaires fonciers souhaitant organiser une réelle gestion écologique d'espaces sensibles par un élevage extensif n'a pas été généralisé : terrains communaux, propriétés des conservatoires ou des parcs régionaux, secteur de propriétés indivis de la Grande Brière. Cette règle est une contrainte nationale et non européenne. Un cas exceptionnel de contrat long terme « prairies » au profit de collectivités a pu être constaté sur des terrains communaux des barthes de l'Adour avec, comme contre-partie nationale, une aide du conseil général à la place du ministère de l'Agriculture.
L'entretien des prairies humides, sur des terrains dont la maîtrise
a été prise en charge par des opérateurs dont la mission
première est la protection de la nature, implique une collaboration
étroite avec des agriculteurs qui en assurent la fauche ou la pâture
dans le cadre des contraintes liées à des objectifs de
conservation. Les accords passés dans ce cadre se situent hors du
statut agricole et excluent de fait ces opérateurs du bénéfice
des mesures agri-environnement, alors que les contraintes mises en place
correspondent généralement au niveau de contraintes maximales
souhaitées par l'UE.
Ce point pourrait faire l'objet d'une concertation étroite entre le
ministère de l'Environnement et le ministère de l'Agriculture
en vue d'élargir le champ d'accès à ces aides.
Le ministère de l'Environnement a pu participer à l'orientation
de ces dispositions au sein du CTNAE chargé d'un agrément national
jusqu'en 1992. A partir de 1994, ce dispositif a été
déconcentré dans le cadre de procédures
régionalisées, dites « opérations locales
agri-environnement » et est examiné en commission régionale
Agriculture et Environnement (CRAE) : les directions régionales de
l'Environnement (DIREN) n'ont pas actuellement les moyens de suivre, à
l'égal des directions départementales de l'Agriculture (DDA),
ces dossiers.
L'écart entre « surfaces éligibles » et « surfaces
contractées » est important en raison du caractère non
obligatoire de ces programmes pour les agriculteurs. Il est vraisemblable
que les crédits ouverts au titre européen et à celui
du ministère de l'Agriculture seront loin d'être utilisés
en totalité. Il n'a pas été possible d'obtenir, dans
le cadre de la mission, un bilan des crédits ouverts et utilisés.
Le succès de cette mesure reste modeste, de l'ordre de 200 000 ha
effectivement contractés par les agriculteurs.
reste aussi modeste, comparé à l'expérience des autres
pays d'Europe du Nord. Le Royaume-Uni compte aujourd'hui 43 ESA, regroupant
15% des terres agricoles ; le budget consacré à ces mesures
atteindra, en 1996, 63 millions de livres, soit environ 535 MF. La Suède
a mis sous « contrats », à ce jour, plus de 400 000 ha dont
107 000 ha de prairies et 180 000 ha de terres labourables.
Fertimieux
Mises en place désormais dans la majorité des départements,
les opérations Fertimieux ont concouru à sensibiliser le monde
agricole à l'intérêt de la fertilisation raisonnée
et à organiser un conseil agricole plus efficace en ce domaine.
Ceci a été favorable à la protection de la qualité
des eaux des zones humides, mais ne couvre que très partiellement
les contraintes liées à des objectifs de conservation pour
la faune et la flore : diversité des paysages, maintien des haies
et bocages, érosions, développement de systèmes culturaux
extensifs sur les milieux les plus fragiles, etc.
Il est à remarquer que les opérations réduction d'intrants
agri-environnement et les opérations Fertimieux risquent d'entrer
en concurrence.
Modernisation des exploitations et zones humides
D'autres outils d'incitation financière sont à la disposition
des agriculteurs pour promouvoir des formes d'agriculture respectueuses de
l'environnement. Le ministère de l'Agriculture explore la
possibilité de définir des plans de développement
durable (PDD) (6) des exploitations
qui concilient activités agricoles, préservation du milieu
naturel et gestion de l'espace (une exploitation est en effet très
souvent composée de champs dont seule une partie est en zone humide).
C'est aussi un point fort des divers fonds structurels européens (FSE) en faveur des régions défavorisées.
Si une complémentarité de l'ensemble des mesures en faveur
du monde agricole peut être mise en avant, force est aussi de constater
que la complexité de l'ensemble le rend incompréhensible aux
acteurs de terrain qui oublient, dès lors, les objectifs attachés
à chacune de ces mesures.
L'Etat a un rôle privilégié d'incitation financière
vis-à-vis des agriculteurs et des collectivités locales, qui
restent encore marqués par le poids des habitudes (image négative
des zones humides, modernisation de l'agriculture). Or l'essentiel des moyens
d'incitation financière reste à ce jour sous le contrôle
du ministère de l'Agriculture, articulé dans le cadre d'une
stratégie d'adhésion volontaire des agriculteurs ; ceci laisse
un champ de manoeuvre étroit aux acteurs de l'environnement. En
particulier, les possibilités offertes pour organiser une maîtrise
et une gestion des secteurs sensibles des zones humides par des opérateurs
fonciers, malgré quelques initiatives des conservatoires, sont notoirement
insuffisantes, alors que des expériences intéressantes, incluant
des échanges de terres agricoles, semblent avoir été
développées aux Pays-Bas et en
Allemagne.(7)
La modernisation des exploitations agricoles a constitué un des facteurs essentiels de dégradation des zones humides dans les années passées par les atteintes du remembrement, des irrigations et du drainage agricoles. Les instructions récentes du ministère de l'Agriculture ont conduit à largement corriger la conception de ces travaux en vue de prendre en compte les contraintes de protection des milieux naturels.
Force est cependant de reconnaître qu'en certains endroits les errements
passés se poursuivent aujourd'hui (voir par exemple le cas du remembrement
« sauvage » de 850 ha des berges de l'Echez sur le val
d'Adour) (8). Des travaux de drainage
agricole sont poursuivis en zones humides avec l'aide de conseils
généraux (val de Saône, val d'Allier, marais de Brouage,
etc.).
Dans les conditions économiques actuelles, favorables aux systèmes
de culture intensifs, il est à craindre que seule une forte pression
réglementaire puisse réguler ces tendances. Ceci explique que
plusieurs pays étrangers (Etats-Unis, Suède et autres),
confrontés à des problèmes analogues, aient choisi d'opter
pour un principe d'interdiction a priori des travaux d'assèchement
et de drainage.
Déprise
De nombreuses zones humides, particulièrement dans les parties « mouillées », souffrent d'un abandon important. Il en résulte une colonisation par une végétation contraire aux objectifs de conservation poursuivis.
Les rares essais de mise en réserve intégrale, telle la réserve de la Truchère, espace de 96 ha de dunes sableuses en val de Saône, conduisent rapidement à un envahissement par une forêt dégradée qui appelle un entretien artificiel.
Les petits massifs de tourbières de collines sont envahis par la molinie
qui se substitue aux sphaignes, la Grande Brière est envahie par les
carex. Ces milieux deviennent alors hostiles à la pénétration
humaine et à l'installation d'espèces inféodées
à la présence de prairies et de plans d'eau, milieux très
différents de ceux qui concouraient par le passé à un
équilibre entre la présence de l'homme et de nombreuses
espèces animales et végétales.
Les formes traditionnelles d'économie, de pâturage et de
récolte de la production végétale (extraction de tourbe,
marais salants) se sont largement dégradées dans les zones
humides, alors qu'elles contribuaient à la diversité biologique
des milieux.
Le pâturage par des animaux domestiques empêche la colonisation
par les arbustes et les roseaux qui, en été, ont tendance à
envahir les sols soumis à inondation hivernale.
La conservation des zones humides ne signifie pas l'abandon de toute
activité économique, mais le maintien d'activités
traditionnelles compatibles avec des objectifs de protection. Cela implique
sans doute la mise en place de nouveaux systèmes d'aides à
des activités susceptibles de tirer parti des systèmes naturels
très productifs des zones humides.
La préservation d'activités liées à l'agriculture,
dans des conditions de compétitivité différentes de
celles des terres de plaine ou vallées alluviales, sera un
élément fort du devenir de ces milieux.
Il est caractéristique que ces initiatives émanent
d'opérateurs environnementaux et non d'organismes attachés
à l'agriculture, à l'exemple des essais de réintroduction
de races rustiques sur les tourbières de petite montagne ou les zones
mouillées des marais.
Les travaux de l'INRA, en ce domaine, pourraient être davantage
développés et valorisés (voir les études du Centre
INRA de Rennes ou celles département Systèmes agraires et
Développement SAD, à Paris)
(9).
Ces pistes sont bien peu soutenues par le ministère de l'Environnement,
dont l'effort principal, mené par la direction de l'Eau, a concerné
l'accompagnement des élevages intensifs, dans le cadre de l'accord
négocié avec la profession agricole (programme de réduction
des pollutions des bâtiments d'élevages, dont le financement
à hauteur de 30% a été demandé aux agences de
l'Eau).
Tirer profit de la prochaine révision de la PAC
La PAC doit faire l'objet d'une nouvelle révision en 1996.
La Commission européenne confirme, dans un rapport récent,
les insuffisances des dispositions actuelles
(10) :
« Jusqu'à présent, les instruments de la PAC qui contribuent
à préserver les zones humides proposent surtout des mesures
ponctuelles et ne favorisent pas l'intégration complète des
préoccupations écologiques en agriculture. Un code communautaire
de bonnes pratiques agricoles qui interdit [...] le drainage ou le remblayage
et préconise le maintien de zones tampons [...] pourrait donner
l'impulsion nécessaire à une approche fondée sur la
reconnaissance de l'agriculture dans le maintien de la campagne en tant
qu'écosystème.
« [...] l'appréciation économique des zones humides et
de leurs fonctions est aujourd'hui pratiquement nulle.
« Dans les années soixante-dix et quatre-vingts, la garantie
de prix céréaliers élevés a puissamment
encouragé la reconversion des pâturages des plaines en terres
arables ; en outre, les pouvoirs publics ont subventionné
l'assèchement des zones humides. La récente réforme
de la PAC devrait inverser ce processus. Cependant le règlement CEE
n°2085/93 au titre du Fonds européen d'orientation et de garantie
agricole FEOGA continue d'autoriser la rénovation et l'amélioration
des réseaux d'irrigation.
« Combinée avec le financement massif de programmes d'irrigation
par les FSE, la sous-tarification de l'eau peut concourir à la disparition
ou à la destruction de certaines zones humides. »
Si l'extension des surfaces en céréales est désormais
contingentée par les dispositions adoptées en 1992, on peut
craindre que ces dispositions ne conduisent à une «
spécialisation » des terres agricoles défavorable aux
zones humides : concentration des céréales et des
oléo-protéagineux sur les terres fertiles et aménagées
Champagne, Beauce, grandes vallées alluviales -, déprise
accélérée sur les massifs de tourbières ou de
marais ; quant aux secteurs de territoires intermédiaires mis en
céréales après des aménagements coûteux
(remembrements, irrigations et drainages), ils risquent de voir un retournement
brutal de la viabilité des exploitations dès que les prix mondiaux
des céréales, soutenus ces dernières années par
une conjoncture favorable, reviendront à la baisse.
Pour la France, les enveloppes financières mises en jeu montrent le déséquilibre du système : 40 milliards au titre des aides à l'organisation communautaire des marchés, quelques centaines de millions pour les mesures agri-environnement.
En comparaison des aides directes, du coût des aménagements fonciers encore largement subventionnés et des mesures agri-environnement ainsi que des effets économiques induits pollutions, assèchements -, le prix des terres agricoles, de l'ordre de 10 000 F/ha en prairies et 20 à 30 000 F/ha en terres arables apparaît désormais comme secondaire. En conséquence, l'opportunité pour l'Etat et les collectivités locales de lancer une stratégie de maîtrise foncière ambitieuse des secteurs sensibles en zones humides mérite d'être sérieusement étudiée.
L'intérêt de la mise en herbe ou de boisements en bandes de 15 à 20 m de large en bordure de rivières pour constituer des « pièges à nitrates » a été démontré par les travaux du laboratoire du Centre d'écologie des ressources renouvelables (CERR) du CNRS de Toulouse et de nombreuses autres études. La mise en place effective de ces préconisations se heurte encore à beaucoup de difficultés auprès des propriétaires riverains et des agriculteurs.
« La baisse du taux de jachère qui vient d'être décidée, permettra de réduire de 45% les terres en jachère, accroître de 650 000 ha les terres cultivées, c'est-à-dire un potentiel de 3,5 millions de tonnes de céréales supplémentaires. ».(11)
Il est souhaitable que ceci ne se fasse pas au détriment de nouvelles zones humides.
Les zones humides couvrent en France une superficie de l'ordre de 2 millions d'hectares, soit moins de 7% de la surface agricole utile (SAU). Il est possible de concevoir une stratégie de mise en valeur agricole particulière de ces territoires sans remettre en cause globalement la puissance et la compétitivité de l'agriculture française.
La capacité d'expertise du ministère de l'Environnement dans le domaine agriculture-environnement reste encore très faible. Des initiatives pourraient être utilement engagées en ce sens en collaboration avec le ministère de l'Agriculture et les organismes spécialisés du monde de la recherche (INRA) et la profession agricole.
Une participation plus active du ministère de l'Environnement aux négociations européennes, qui pour l'essentiel restent conduites à ce jour par les directions du ministère de l'Agriculture, permettrait sans doute de mieux préparer l'avenir.
Les zones humides inventoriées à l'occasion des travaux de l'instance d'évaluation et par le ministère de l'Environnement recouvrent environ 2 millions d'hectares. Il ne saurait être question de vouloir en assurer la maîtrise foncière par les pouvoirs publics. Cela serait au demeurant inutile.
Il apparaît cependant utile de maîtriser les parties les plus sensibles de ces zones humides, soit lorsqu'elles sont menacées d'abandon, soit lorsqu'elles sont menacées par des activités concurrentes.
Conservatoire du littoral
L'outil privilégié de maîtrise des espaces naturels est le Conservatoire du littoral, dont la mission première de conservation des espaces littoraux a été étendue à la conservation des plans d'eau intérieurs de plus de 1 000 ha.
Plus de 50 000 ha ont été acquis à ce jour par le
Conservatoire (500 km de rivages maritimes et 100 km de rives lacustres).
Environ 17 000 ha, sur 37 sites de zones humides sont protégés
dans ce cadre.
Le statut de l'établissement public garantit l'inaliénabilité
des terrains acquis. Le succès de l'action du Conservatoire est
unanimement reconnu.
Conservatoires régionaux
L'action du Conservatoire national peut être utilement prolongée par des actions locales sur financement des conseils régionaux et des conseils généraux, notamment en utilisant le produit de la taxe sur les espaces naturels sensibles.
Les parcs naturels régionaux, les conservatoires régionaux et de nombreuses collectivités locales ont acquis la propriété ou la gestion de nombreuses zones humides.
A titre de référence, les conservatoires régionaux maîtrisaient environ 13 000 ha, fin 1994 (2 000 ha en propriété, 1 000 en location, 10 000 en convention). Ces opérations ont été menées avec l'appui de crédits « Life » et du ministère de l'Environnement.
Les conservatoires sont de simples associations, loi de 1901, fédérées au sein d'« Espaces naturels de France », dans le cadre d'une charte commune très souple.
Le risque de voir détourner l'objectif de conservation des terrains, en cas de défaillance pour mauvaise gestion, est, en principe, minimisé : Espaces naturels de France, fédération des conservatoires, est chargée de prendre le relais le cas échéant.
La réalisation des missions des conservatoires dépend pour l'essentiel de subventions publiques ; le statut associatif, pour des opérations de maîtrise et de gestion foncière, apparaît bien fragile.
Ces opérations se sont à ce jour concentrées en Lorraine (2 800 ha), en Alsace (2 300 ha), en Bourgogne (1 200 ha) et en Champagne-Ardenne (1 000 ha) ; elles traduisent dans ces régions une bonne collaboration et des relations de confiance avec les collectivités locales.
Beaucoup de collectivités locales restent méfiantes vis-à-vis
des conservatoires, constitués sous la forme d'une simple association,
chargée de gérer des fonds publics sans véritable
contrôle organique de leur part. Cela explique l'absence ou la faiblesse
de ce type d'opérateurs dans de nombreuses régions, notamment
dans le Sud de la France.
Le bilan des opérations « Life » ou des conservatoires ne
donne qu'une image partielle des opérations foncières en faveur
des zones humides. De nombreux conseils généraux en partenariat
avec des associations (SEPANSO en Gironde, SEPNB en Bretagne, etc.) ont pris
des initiatives en ce domaine sans aide de l'Etat ni de l'UE.
L'efficacité de ces mesures pourrait être renforcée par
l'organisation d'échanges de terres agricoles, avec l'appui des
Sociétés d'amélioration foncière des exploitations
(SAFER).
Une difficulté particulière concerne la gestion des terrains acquis dans ce cadre. La mission spécifique des conservatoires garantit que cette gestion sera conçue dans une perspective patrimoniale. Elle est souvent organisée dans le cadre de « contrats » avec des agriculteurs pour l'entretien des terrains en évitant le statut du fermage qui pourrait conduire au risque de voir dériver la gestion des terres dans une perspective agricole éloignée des objectifs de conservation. Ce mode de gestion reste cependant déficitaire et suppose un accord avec des collectivités locales au titre des suivis scientifiques ou des expérimentations visant à introduire de nouvelles activités.
L'intérêt pour les collectivités locales de disposer
d'un opérateur spécialisé en ce domaine est certain.
Le soutien par le ministère de l'Environnement des conservatoires
en les dotant d'un statut commun plus solide, assorti d'une procédure
d'agrément, serait susceptible de lever les réticences de nombre
de collectivités locales. Ce pourrait être l'occasion de
préciser :
- les règles d'inaliénabilité de terrains acquis pour
des objectifs de conservation ;
- les contrats de gestion vis-à-vis des agriculteurs ;
- les obligations envers les bailleurs de fonds publics ;
- les conditions éventuelles d'un droit de préemption.
L'opportunité d'inciter, beaucoup plus activement qu'aujourd'hui,
les collectivités locales à engager des opérations de
maîtrise foncière, avec l'appui de fonds européens,
mérite d'être étudiée.
Ouvrir plus largement le bénéfice des mesures agri-environnement
à des gestionnaires de zones humides non agricoles peut en être
un moyen. Les contrats proposés, dans ce cadre, aux agriculteurs
correspondent souvent aux plus sévères niveaux de contraintes
du régime européen. Ces gestionnaires sont attachés
à en surveiller le respect sur leur territoire. Autant, par exemple,
la mise en place effective de troupeaux sur les secteurs de marais est utile,
autant les « surcharges » sur les prairies voisines sont nuisibles
; le respect des contrats passés à cet effet n'est pas facile
à contrôler (voir par exemple les relations entre l'association
syndicale du secteur indivis de la Grande Brière avec les éleveurs
disposant de pâturages voisins de la zone du marais).
Il est quasiment impossible, a fortiori pour des services de l'administration,
de réaliser des contrôles de terrain vis-à-vis d'agriculteurs
disposant de terres dispersées.
Au demeurant le résultat modeste des mesures agri-environnement comparé à la surface des zones humides (2 millions d'hectares dans l'échantillon de l'enquête de l'instance d'évaluation) doit conduire à étudier les moyens d'en amplifier l'effet.
Pêcheurs et chasseurs
Les fédérations de pêche et de chasse mènent depuis très longtemps une action en faveur de la protection des zones humides.
Les pêcheurs se sont inquiétés très tôt de la protection des frayères et sont intervenus à ce titre sur les annexes et les bras morts de cours d'eau par le biais d'acquisitions ou de contrats avec des propriétaires ou des collectivités locales riveraines.
Le Conseil supérieur de la pêche (CSP) constitue un centre d'expertise insuffisamment utilisé et valorisé. Dans le cadre de l'exploitation des campagnes de captures piscicoles, il met en place un Réseau hydrologique piscicole qui sera un outil d'évaluation de la qualité écologique des milieux aquatiques.
En 1994, le CSP a financé 107 opérations (7,6 MF) de réhabilitation de milieux naturels aquatiques.
Les chasseurs ont créé la Fondation nationale pour la protection des habitats (FNPH) dont la mission est de réserver des terrains à objectif de conservation. Cette fondation dispose de moyens assez importants qui lui ont permis d'intervenir sur des espaces sensibles : Grand-Lieu, barthes de l'Adour, etc.
Le réseau des garde-pêche et garde-chasse constitue un élément fort du dispositif de surveillance. Le très bon niveau de qualification d'une grande partie de ces agents offre une occasion de renforcer le potentiel de conseil technique et d'expertise des zones humides.
Des accords sont déjà intervenus en ce sens entre le CSP et les agences de l'Eau pour le renforcement des réseaux de surveillance des milieux aquatiques.
Un trop faible intérêt a été accordé dans
les travaux de l'instance d'évaluation aux aspects liés à
l'ichtyologie et la vie aquatique. Des sites d'intérêt majeur,
comme les marais de Goulaine (Loire-Atlantique), principale frayère
à brochets de France, méritent attention au même titre
que la plupart des zones humides citées dans les inventaires
nationaux.1
Les associations et fédérations de pêche ont besoin de
s'ouvrir davantage vers les collectivités locales et les fonds
européens. Le ministère de l'Environnement et les agences de
l'Eau pourraient les aider dans cette voie.
La complémentarité des opérations menées par les associations de protection de la nature, les conservatoires, les chasseurs et les pêcheurs est évidente.
La mise en réseau d'un ensemble de plans d'eau, prairies, vasières,
en plusieurs endroits, a assuré le succès du retour des canards,
foulques, hérons, bécassines, grues cendrées, cigognes
: Brière-Grand-Lieu-estuaire de la Loire ou marais d'Orx-barthes de
l'Adour-Artix-Arjuzan sont à ce titre des unités fonctionnelles
tout à fait exceptionnelles. De même, les flamants roses des
étangs de Languedoc-Roussillon dépendent des nids installés
en Camargue...
Il est dommage de voir que, trop souvent encore, associations de protection
de la nature, chasseurs ou pêcheurs n'ont pas trouvé les moyens
de travailler de concert.
Conservation, protection et développement
La conduite de politiques sectorielles d'aménagement explique les
nombreuses contradictions constatées dans la gestion des eaux :
- qualité des captages vs agriculture intensive ;
- extraction de granulats vs déstabilisation des berges ;
- imperméabilisations et drainages agricoles vs accélération
des ruissellements.
Très tôt des outils pour une prise en compte globale de ces problèmes ont été mis en place sur les rivières : objectifs de qualité, schémas d'aménagement des eaux, plans de lutte contre les inondations, schémas de vocation piscicole.
La prise de conscience de la nécessité d'une approche analogue sur les zones humides n'est intervenue que très récemment.
L'apport des associations dans la connaissance et le diagnostic de la dégradation des zones humides a été fondamental : ce sont les ornithologues et la Ligue de protection des oiseaux (LPO) qui ont les premiers et avec le plus de vigueur tiré la sonnette d'alarme ; les inventaires ZNIEFF, zones d'intérêt cynégétique et ornithologique (ZICO) puis de la directive Habitat ont reposé sur la mobilisation d'un vaste réseau de bénévoles. Les APN ont mis en évidence que le « mitage » des zones humides avait dégradé profondément la richesse des systèmes faunistiques et floristiques associés. Les associations ont été l'artisan principal du réseau des Réserves naturelles de France qui constitue un élément fort de la conservation de la bio-diversité et de la sensibilisation publique.
Les travaux de plusieurs équipes de recherche ont diagnostiqué le rôle fondamental des zones humides dans la fonctionnalité des systèmes hydrauliques, comme celui des prairies et boisements en bord de rivière dans les processus de dénitrification naturelle.
Enfin, de graves désordres eutrophisation des lagunes méditerranéennes, abandon des anciens ouvrages de gestion hydraulique, assèchement des marais de l'Ouest - ont rappelé le rôle régulateur des zones humides par les effets graves qui pouvaient résulter d'aménagements pour des activités économiques associées à ces milieux : pêche professionnelle, ostréiculture, tourisme, etc.
Les collectivités locales ont été les interlocuteurs privilégiés appelés pour financer les travaux d'aménagement et d'entretien nécessaires à la co-existence d'activités et d'intérêts qui apparaissaient très souvent conflictuels.
Il apparaît possible de faire co-exister des sites de fort développement économique et des secteurs de grande richesse écologique par un partage raisonné des territoires : les vasières des estuaires, zones privilégiées de reproduction et de grossissement de multiples sortes d'invertébrés et crustacés, sont la base de plusieurs chaînes trophiques. L'identification et le choix de sites prioritaires de protection, de ce point de vue, peut se concevoir conjointement avec un schéma de développement d'un port autonome.
Les zones humides, particulièrement les vallées alluviales,
sont des zones d'implantation forte des activités humaines. La protection
des valeurs associées à leurs valeurs patrimoniales appelle
un compromis avec les besoins du progrès social et du développement
économique.
Les associations de protection de la nature sont mal armées pour ces
arbitrages : elles n'en ont au demeurant ni les moyens humains et financiers
ni la légitimité.
La gestion des milieux protégés ne peut se concevoir qu'en partenariat avec les autres acteurs locaux. Des cas de gestion en situation de « réserve » sont de ce point de vue des motifs d'insatisfactions à la suite d'incompréhensions locales : conflits sur la Camargue, le lac de Grand-Lieu, le marais d'Orx. Ces cas sont, cependant, exceptionnels : la très grande majorité des réserves naturelles et des parcs naturels régionaux ont montré leur capacité à intégrer la mise en valeur de sites de grande valeur patrimoniale dans une perspective de développement local.
L'Etat et les collectivités locales sont les médiateurs privilégiés de cette mise en perspective.
Les collectivités locales
Les conseils régionaux, au titre du développement des grandes infrastructures (contrats de plan) et les conseils généraux, au titre du développement rural, sont désormais les acteurs principaux de l'aménagement du territoire ; les communes, par les documents d'urbanisme, déterminent l'affectation des sols.
La plupart des conseils régionaux et généraux ont pris dès aujourd'hui des initiatives importantes pour la protection des zones humides : études, inventaires, observatoires, soutien à des actions d'aménagement-conservation, promotion de systèmes agricoles extensifs, etc. Des contradictions persistent, certes encore, au sein de ces collectivités locales dans les stratégies d'aménagement traduites dans leurs budgets : des aides au drainage agricole co-existent souvent avec des aides à la protection des zones humides sur les mêmes territoires. Les collectivités sont les lieux privilégiés où ces contradictions, héritage du passé, pourront être dépassées.
L'administration a les moyens de les réguler par la réglementation.
Le syndicat mixte du val de Saône a lancé, à titre d'exemple,
l'étude d'un plan de mise en valeur de la vallée faisant la
part des territoires nécessaires aux développements urbains
et infrastructures associées, à l'agriculture et à la
conservation de la nature. Cette étude montre qu'il est possible de
concevoir des scénarios de développement compatibles avec le
maintien d'un bon potentiel de conservation des zones humides. Ce travail
est accompagné d'un long processus de concertation avec les acteurs
locaux. Les collectivités locales constituent les instances où
se décideront les équipements qui structureront l'avenir de
cette vallée ; il leur appartient d'arrêter le plan de gestion
de la vallée pour les années prochaines.
Les réussites en matière de protection des zones humides sont
généralement associées à un plan de
développement soutenu fortement par un conseil général
(baie des Veys, Woëvre, barthes de l'Adour).
Organiser à partir des élus locaux une adhésion sur
des stratégies de protection-conservation des zones humides est un
préalable indispensable au succès du Plan d'action en faveur
de zones humides.
Les cas où l'aménagement d'une zone humide a été
préparé par une mise en perspective globale des enjeux sont
malheureusement rares encore, tant de la part des aménageurs que des
protecteurs de la nature.
Ces difficultés peuvent aussi bien concerner des zones de forte pression
anthropique que des zones de déprise.
Des activités traditionnelles (extraction de la tourbe, marais salant,
élevage, écobuage, etc.) concouraient à l'entretien
des zones humides. Leur disparition implique aujourd'hui la mise en place
de dispositifs de substitution qui font appel aussi aux concours des
collectivités locales.
« Que deviendront les flamants roses si les marais salants viennent
à disparaître ? »(1)
Les collectivités locales ont de nombreux moyens d'assurer une prise en charge collective des zones humides. Là ou un schéma d'aménagement général des eaux (SAGE) sera estimé comme une procédure trop complexe à mettre en place, la mobilisation d'un syndicat mixte, d'un parc naturel régional, d'une réserve naturelle, d'un conservatoire régional pourront constituer des alternatives intéressantes.
L'administration
L'intégration des stratégies d'aménagement-conservation-gestion concerne au premier chef l'administration.
L'Etat, par une utilisation mieux ciblée des moyens mis à sa disposition, a la capacité d'organiser des inflexions favorables à la préservation des zones humides.
La coordination des actions administratives, au niveau départemental, reste encore mal assurée en ce domaine auquel les administrations locales et les préfets sont peu sensibilisés.
Pour améliorer la « lisibilité » des outils juridiques et financiers, une simplification des procédures locales pourrait être utilement engagée (réduire le nombre de « commissions » mises en place à l'occasion de chaque nouvelle action administrative, choisir de privilégier le niveau régional ou départemental).
Cela appelle aussi l'organisation d'une plus forte synergie entre les équipes spécialisées dans la protection des milieux et celles en charge de leur gestion. Organiser le regroupement des équipes des services de l'Eau et des milieux aquatiques (SEMA) et des directions régionales à l'Architecture et à l'Environnement (DRAE), encore très souvent dispersées dans les DIREN et qui, pour les zones humides, doivent travailler en étroite collaboration, donner à ces services les moyens d'une présence plus forte dans les départements.
En administration centrale, l'expérience de la direction de la Nature
et des Paysages et celle de la direction de l'Eau sont différentes
mais très complémentaires ; organiser la mise en commun des
atouts de chacune de ces directions ne peut que concourir à la
réussite du Plan d'action des zones humides. Ceci implique en particulier
qu'elles organisent une meilleure coordination des procédures
placées sous leur autorité et une meilleure « fluidité
» des informations recueillies à cette occasion.
La prise en compte des zones humides concerne, par ailleurs, de nombreux
ministères dont la mobilisation doit être pilotée et
conduite par le ministère de l'Environnement.
Si la France a reconnu officiellement en 1986 la valeur des zones humides
en adhérant à la convention de Ramsar, ce n'est que, tout
récemment, avec la loi du 3 janvier 1992 et le rapport de l'instance
d'évaluation que les administrations ont été
sensibilisées.
Cette mobilisation reste fragile. L'essentiel des mesures concernant les
ministères cités dans le Plan d'action reste à
définir.
« Un groupe de travail interministériel, dont le secrétariat
sera assuré par le ministère de l'Environnement, permettra
un suivi de la mise en place du Plan d'action. »
Une initiative conjointe du ministère de l'Environnement et du
commissariat général au Plan pourrait en être le
support.
La désignation d'un fonctionnaire de haut niveau, investi d'une mission
de coordination inter-ministérielle, serait à cet effet très
utile.
L'action en faveur des zones humides suppose la mise en cohérence
des politiques publiques concernant un grand nombre d'acteurs.
Cette cohérence concerne aussi plusieurs domaines géographiques
: c'est la fonction « d'interface » entre eaux libres et milieux
terrestres qui caractérise ces milieux. L'élaboration des SDAGE
est l'occasion de mettre en perspective ces divers aspects de la gestion
des eaux.
Au niveau décentralisé, les comités de bassin constituent
des structures à même de donner une vision globale des divers
aspects de la gestion des eaux ainsi que des avis sur les orientations
envisagées par l'Etat en faveur des zones humides.
L'élaboration de plans de gestion intégrés des zones humides est nécessaire à leur conservation future.
La loi sur l'eau fournit avec les SAGE une procédure susceptible d'en faciliter l'élaboration sous l'autorité des élus et de l'Etat en partenariat avec l'ensemble des acteurs locaux intéressés au sein des commissions locales de l'Eau.
Le rapport de l'instance d'évaluation a mis en évidence que
« près de la moitié des zones humides ont disparu en France
en trente ans et que cette tendance à la régression est forte
et rapide ».
Il en résulte de graves risques pour le respect de la biodiversité
: le tiers des espèces végétales menacées est
inféodé aux zones humides, la moitié des oiseaux
présents en France dépendent de ces milieux. Il en résulte
aussi de nombreux désordres apportés aux usages économiques
et sociaux associés.
Faute d'une réorientation profonde des actions publiques ayant concouru
à cette évolution, cette dégradation est appelée
à se poursuivre.
Le Plan d'action du Gouvernement a défini les pistes d'une stratégie
de reconquête.
Le ministère de l'Environnement a des responsabilités centrales
en ce domaine :
- organiser un suivi des zones humides ;
- améliorer la connaissance des zones humides ;
- proposer des priorités d'action ;
- veiller à une application claire et stricte des outils institutionnels
sous sa responsabilité : directive Habitat , SDAGE, SAGE,
réglementations, protection des secteurs sensibles ;
- donner aux agences de l'Eau les moyens d'organiser une épargne publique
plus forte en faveur des zones humides ;
- organiser une sensibilisation et communication réhabilitant ces
milieux.
La réussite de ce Plan d'action suppose de créer une adhésion
de nombreux ministères à une modification des politiques
placées sous leur responsabilité, ainsi qu'une mobilisation
des préfets.
Le groupe de travail interministériel devrait être mis en place à l'initiative du ministère de l'Environnement rapidement à cet effet.
Une réorientation sensible de la PAC et des outils d'accompagnement
associés constitue le point central des nouvelles stratégies
à imaginer.
Ce changement ne pourra être que progressif et s'appuiera, dans un
premier temps, sur un nombre limité de sites pour lesquels des
règles d'aménagement seraient clairement précisées
sur un territoire défini.
Ces sites seront susceptibles de servir d'exemples pour l'avenir.
Le Plan d'action du Gouvernement vise une remise en cause de multiples
stratégies publiques ; pour devenir opérationnel il doit faire
l'objet de prescriptions précises.
Les zones humides ne sont pas « isolables » des milieux aquatiques ou terrestres dont elles sont l'interface. Leur devenir s'inscrit dans une vision géographique et socio-économique plus large que les milieux dont la dégradation a été mise en évidence, depuis longtemps, par les associations et les scientifiques.
La réussite de toute stratégie environnementale ne peut se concevoir que dans le long terme. Pour en suivre le chemin, elle implique de bâtir un corps d'indicateurs d'objectifs et d'évaluation dont le suivi doit être organisé.
Le programme de recherche et l'Observatoire national constituent un
élément central pour l'amélioration du dispositif
d'évaluation.
La France manque, cependant, d'une structure technique nationale solide,
qui, à l'instar des EPA des pays anglo-saxons, exercerait une mission
permanente d'évaluation et de conseil des actions des pouvoirs publics.