1. Adapter l'environnement à l'animal
2. Adapter l'animal à l'environnement
3. Conclusions
Encadré : Modes d'élevage des poules
et des poulets
Références bibliographiques
On ne traitera pas ici du premier point, qui n'est pas du ressort d'une recherche sur l'animal. Indiquons brièvement que, à l'origine, les problèmes de bien-être ont été posés par des protecteurs des animaux, principalement de l'Europe du nord, qui ont ressenti que l'industrialisation de l'élevage se faisait au détriment des animaux. Leur démarche inclut une forte proportion d'anthropomorphisme (« Aimeriez-vous vivre dans les conditions faites aux animaux domestiques ? ») ou de passéisme (l'élevage traditionnel est bon, l'élevage industriel mauvais). Les élevages extensifs (peu d'individus sur un vaste pâturage) trouvent facilement grâce à leurs yeux, malgré les problèmes de parasitisme ou de conditions climatiques extrêmes qu'ils peuvent poser. De la même façon, ils considèrent que la truie à l'attache subit un traitement cruel, alors que la vache à l'attache ne pose aucun problème à la plupart des protecteurs des animaux.
Le second aspect est en revanche du ressort des chercheurs zootechniciens. A travers cet exposé, on montrera comment l'approche éthologique (par l'étude du comportement) permet d'améliorer le bien-être de l'animal d'élevage, soit en aménageant son environnement (ici environnement désigne essentiellement l'installation dans laquelle on le maintient : sa cage, avec la mangeoire, le plancher, l'éclairage...) pour l'adapter à ses besoins, soit en adaptant l'animal à l'environnement dans lequel on l'élève.
La première de ces deux voies possibles consiste à modifier
des dispositifs (d'élevage industriel) qui ont fait leurs preuves
jusqu'à un certain point et qui ont été retenus pour
leur efficacité. Cette adaptation entraîne une dépense
pour l'entreprise : la décision ne peut en être prise qu'en
étant sûr que cela augmentera le bien-être des animaux
et donc leur productivité.
La seconde voie, on l'a évoquée, consiste à agir sur
l'animal. Plusieurs interventions sont envisageables : opération
chirurgicale, administration de médicaments (voie pharmacologique),
soins particuliers aux jeunes à certaines étapes de leur
développement (voie ontogénétique), ou modification
de l'identité génétique. Les interventions
vétérinaires comme le débéquage, l'écornage,
l'injection de calmants... sont également très mal perçues
par les protectionnistes et par les consommateurs et leur utilisation tend
à être limitée par la loi. Nous ne nous intéresserons
donc qu'aux méthodes visant à améliorer le bien-être
par voie ontogénétique ou génétique. Celles-ci
ont aussi un coût. La sélection, en particulier, n'est utilisable
que si le caractère sélectionné est suffisamment
général pour apporter une amélioration quel que soit
le milieu dans lequel est élevé l'animal. Sinon, un changement
de mode d'élevage peut réduire à néant le
résultat d'une sélection qui, même chez les espèces
à intervalle de génération court, représente
un travail de plusieurs années.
Figure 1. Fréquence de certains comportements en fonction de
la hauteur de la cage chez les poules pondeuses.
En ordonnée : hauteur de la cage (en cm) ; en abscisse : fréquence
des comportements (%).
1.1. Connaître les besoins de l'animal
Pour adapter l'environnement à l'animal, il faut au préalable
connaître ses besoins. On les définit comme les ressources pour
lesquelles la demande de l'animal est inélastique par opposition à
une préférence pour laquelle la demande est élastique
(ce vocabulaire est emprunté aux micro-économistes ; une demande
élastique diminue quand la difficulté rencontrée pour
obtenir un bien ou un service augmente). Nous examinerons quatre voies d'approche
possibles.
a) Comparaison des comportements exprimés dans différents milieux
Cette méthode n'est applicable que si les milieux diffèrent
par un nombre réduit de paramètres, ou mieux par un seul. Dans
tous les autres cas on observe de très nombreuses différences
de comportement mais leur interprétation est difficile.
Un bon exemple de ce type de travail est extrait de la thèse de Nicol
(1987). Cet auteur anglais a étudié, chez la poule pondeuse,
l'évolution de 16 mesures de comportement dans des cages de hauteur
variable. Sur les 16 mesures, seules 6 présentaient des différences
significatives en fonction de la hauteur de la cage. Elles sont
représentées sur la figure 1.
Les comportements de type toilette (se secouer, étirer la tête, se gratter la tête) deviennent plus fréquents avec l'augmentation de la hauteur de la cage, tandis que les comportements de type alimentaire (piquer la cage, boire, s'alimenter) voient leur fréquence diminuer. Pour la plupart des critères les différences sont importantes entre la hauteur 30 cm et les 2 autres valeurs testées, entre lesquelles il y a peu de différence. Ces résultats montrent qu'une augmentation de la hauteur de la cage de 30 à 42,5 cm améliore le bien-être des poules mais que l'augmentation de 42,5 à 55 cm n'apporte rien de plus.
b) Conditionnement opérant
La méthode du conditionnement opérant consiste à apprendre à un animal à effectuer un acte (appuyer sur un bouton par exemple) pour obtenir une récompense ou éviter une punition.
Nous avons adapté cette méthode à l'étude des besoins en espace chez la poule. Pour cela les poules disposent d'une cage (fig. 2a) dont trois des parois sont fixes alors que la quatrième est mobile (un moteur électrique entraîne un pignon denté engrené sur une crémaillère). Sur cette paroi mobile est placé un groupe de deux boutons dont l'un est efficace (un appui sur ce bouton avec le bec - entraîne un déplacement de la paroi mobile sur une distance et pendant un temps fixés par l'expérimentateur) alors que l'autre est inefficace (ne provoque pas le déplacement de la paroi). Un ordinateur enregistre tout appui sur chacun des deux boutons avec l'heure (à la seconde près). Après appui sur le bouton efficace il peut y avoir ou non retour à une position de repos pré-établie. La surface de la cage peut varier de 1 600 cm2 à 6 100 cm2. Les animaux sont toujours testés en groupe de 4 poules (taille moyenne d'un groupe de ces volailles en élevage) pendant des périodes de plusieurs jours consécutifs (dispositif dit cage paroi).
Figure 2. Schéma des cages de conditionnement pour l'espace (a) et pour la mangeoire (b)
Figure 3. Influence de la taille de la récompense sur le travail
effectué (nombre d'appuis en ordonnée) en conditionnement
opérant pour l'accès à la mangeoire (à gauche)
ou à plus d'espace (à droite). La faible récompense
(en grisé) correspond à un déplacement de 10 cm ou de
5 cm, la forte récompense(en noir) de 20 ou 10 cm pour la mangeoire
et la paroi.
Un dispositif similaire (fig. 2b) permet de mesurer le travail effectué par les poules pour agrandir leur mangeoire de 0 (mangeoire non accessible) à 100 cm (dispositif dit cage mangeoire). Dans ce cas, un appui sur le bouton fait que la mangeoire se déplace de façon à être accessible aux poules. On dispose plusieurs boutons (tous équivalents) : ainsi une poule qui mange ne bloque pas simultanément l'accès à tous les boutons.
La présence d'un bouton inefficace permet de vérifier que les
appuis sur les deux boutons ne se font pas au hasard. Dans ces conditions
expérimentales il est possible d'appliquer la théorie de la
consommation (Dawkins 1983) qui prévoit que si la récompense
correspond à un besoin, la diminution de la taille de la récompense
(longueur de déplacement de la paroi ou de la mangeoire) entraîne
une augmentation du travail (nombre d'appuis sur le bouton). C'est bien le
cas en cage mangeoire, où l'on note une forte augmentation du nombre
d'appuis (fig. 3). En revanche, en cage paroi, il n'y a pas d'augmentation
du nombre d'appuis et l'on en déduit qu'une plus grande surface ne
correspond pas à un besoin pour les poules.
La poule est-elle capable de faire le lien entre l'appui sur un bouton et
la variation de l'espace disponible ? En cage mangeoire, comme en cage paroi,
les poules pressent certes plus souvent le bouton efficace (près de
75% des appuis) que le bouton inefficace mais ce fait ne permet pas d'affirmer
que les appuis sont bien effectués dans le but d'agrandir la cage.
Un dispositif plus compliqué est nécessaire, où l'on
examine les réponses des poules à 5 cinq conditions
expérimentales différentes : agrandissement de la cage à
partir d'une surface de repos de 1 600 cm2 ; agrandissement de la cage à
partir d'une surface de repos de 2 500 cm2 ; rapetissement de la cage à
partir de cette même surface ; comme les deux cas précédents,
agrandissement et rapetissement, mais à partir d'une surface de repos
de 4 300 cm2. On constate (fig. 4) que les poules travaillent pour agrandir
une cage petite (1 600 ou 2 500 cm2) mais pas pour en agrandir une grande
(4 300 cm2) ni pour diminuer sa surface. Dans les 3 derniers cas, il y a
extinction du conditionnement.
Cette expérience montre que les poules sont capables, d'une part, d'estimer la taille de leur cage et d'adapter leur réponse à cette taille et, d'autre part, d'apprécier le sens du déplacement de la paroi puisqu'elles continuent à appuyer sur le bouton pour agrandir mais pas pour rapetisser une cage de 2 500 cm2.
c) Test de choix
On se sert du même dispositif mais le retour automatique à une
position de repos est supprimé et chacun des deux boutons a un effet
opposé : l'un permet d'agrandir la cage alors que l'autre permet d'en
diminuer la surface. Huit groupes de poules y sont mis à l'épreuve
pendant 12 jours chacun. Ces 12 jours sont divisés en 3 périodes
de 4 jours ; au début de chacune de ces périodes, la paroi
est disposée de manière à obtenir une cage petite, moyenne
ou grande, ces 3 situations se suivant dans un ordre aléatoire,
différent d'un groupe à l'autre. On mesure le temps d'accès
aux différentes surfaces de cage possibles.
Deux des groupes ont toujours choisi une grande cage, 2 autres groupes ont
toujours choisi une petite cage, les 4 groupes de poules restants ont
utilisé, à peu près également, toutes les surfaces
possibles. Les préférences des poules varient donc d'un groupe
à l'autre et 6 groupes sur 8 préfèrent, au moins à
certains moments, une cage plus grande que celle qui leur est habituellement
offerte.
Figure 4. Travail effectué (variation de la surface de la cage,
en ordonnée) avec 3 surfaces de repos (en abscisse, en cm2)
différentes par des poules travaillant pour augmenter (barres vers
le haut) ou pour diminuer la taille de leur cage. Les barres ayant des lettres
différentes (a ou b) représentent des valeurs significativement
différentes.
Figure 5. Dispositif permettant d'envoyer un vent de vitesse variable
sur la mangeoire
Trois des 4 couloirs de distribution du vent sont représentés
fermés (noir) et un ouvert (blanc à gauche).
Figure 6. Dispositif permettant d'envoyer un vent de vitesse variable
sur une zone de la cage recouverte de sable ou de grillage
d) Conflit de motivation
On réalise une situation expérimentale où l'animal peut
accéder à un élément de l'environnement supposé
attractif à condition d'accepter en même temps de subir une
stimulation déplaisante. Une situation relativement répulsive
pour les poules et qui est aussi facile à reproduire et à faire
varier en conditions artificielles est le vent. Comme pour le conditionnement,
on peut appliquer dans ce cas la théorie de la consommation : si
l'élément attractif correspond à un besoin, la réponse
est inélastique, c'est-à-dire, dans ce cas précis, le
temps passé à consommer l'aliment dans la mangeoire ne varie
pas avec la vitesse du vent. Le dispositif correspondant est illustré
par la figure 5. Les résultats obtenus montrent que si l'on augmente
la motivation alimentaire (en faisant jeûner préalablement les
animaux 0, 12 et 24 heures) on diminue l'élasticité de la demande
pour l'aliment (mesurée par la pente de la droite de régression
entre le temps d'alimentation en libre accès et la vitesse du vent).
La théorie est donc bien confirmée.
Un des besoins supposé des poules est l'accès à une
surface dans laquelle elles peuvent gratter, picorer ou faire des nids. Nous
avons donc comparé, au moyen d'un dispositif analogue au
précédent (fig. 6), le temps passé par des poules, soumises
à un courant d'air, sur une surface recouverte de grillage ou de sable.
Les poules ont tendance à préférer le sable (elles y
passent plus de temps) mais les élasticités observées
pour le sable et pour le grillage ne sont pas différentes. Le sable
ne correspond donc pas à un besoin.
1.2. Applications possibles de ces études
Les besoins des animaux une fois connus, on peut essayer de les satisfaire
en modifiant les conditions d'entretien. Ces conditions ont toutefois
été fixées en prenant principalement en compte les facteurs
économiques et ceci est particulièrement vrai dans le cas des
élevages industriels. Les conditions d'élevage sont donc
généralement optimales sur le plan économique et tout
changement de ces conditions aura un coût. Il est donc d'autant plus
important de disposer de méthodes permettant de hiérarchiser
les besoins afin de satisfaire préférentiellement ceux qui
sont prioritaires pour les animaux. Il faut aussi noter que l'amélioration
des conditions d'élevage est une décision qui est du domaine
politique puisqu'il faut mettre en balance, d'une part le bien-être
des animaux, et, d'autre part, le coût qui devra être supporté
par le producteur ou par le consommateur. Dans ce domaine la Commission des
communautés européennes et le Conseil de l'Europe ont un rôle
de leader. Leurs décisions manquent cependant souvent de bases
scientifiques. Ainsi le dernier projet de l'Union européenne (projet
Mac Sharry VI/2327/92) ferait passer la surface minimale par poule de 450
cm2 à 800 cm2 et la hauteur de la cage de 40 à 60 cm. Le volume
à prévoir par individu est multiplié par 2,7. Le
surcoût est donc considérable alors que, comme nous l'avons
vu précédemment, une cage vaste n'est pas une condition du
bien-être de ces volailles, dont les cages en usage sont de dimensions
suffisantes. Le projet est cependant resté en l'état depuis
1992.
[R] 2. Adapter l'animal à
l'environnement
Comme on l'a expliqué plus haut, on laissera de côté les voies chirurgicale et pharmacologique pour présenter celles relevant de manipulation des juvéniles et la sélection de souches.
2.1. Ontogenèse
Certains comportements sont très fortement influencés par les
conditions d'élevage précoce. C'est en particulier le cas des
relations homme-animal chez le poussin (Jones et Faure, 1981) ou chez la
vache (Boissy et Bouissou, 1988) et du comportement de perchage chez la poule
(Faure et Jones, 1982). Dans le cas du poussin, il a été
constaté que la manipulation des animaux (transférés
deux fois par jour de leur cage d'élevage à une boîte,
puis de la boîte à leur cage) suffisait à réduire
la peur de l'homme : les poussins manipulés présentent une
réaction d'immobilité tonique plus courte (ils sont moins
émotifs voir plus loin la sélection des cailles -) et des
comportements d'approche de l'expérimentateur plus marqués
que les témoins. Par contre, leurs réactions de peur sont
identiques dans les tests n'impliquant pas une composante humaine importante
(test d'open-field (1) et d'approche
d'un objet nouveau).
Figure 7. Temps de perchage dans trois souches de poules (en abscisse)
alors que les animaux sont âgés de 18 semaines quand ils disposent
de l'accès au perchoir depuis une (a) ou 14 semaines (b).
Dans le cas du comportement de perchage, on constate que des animaux amenés
à se percher seulement à l'âge adulte le font tout à
fait normalement dans certaines souches alors que d'autres ne se perchent
que peu ou pas du tout (fig. 7). Au contraire, si les animaux ont accès
très tôt (à l'âge de 4 semaines) à des
perchoirs, toutes les souches étudiées se perchent avec des
fréquences comparables. Ce résultat montre que certaines souches
de poules ne peuvent apprendre à se percher que si elles ont eu
accès très tôt à des perchoirs et met donc en
évidence une interaction entre le génotype et
l'environnement.
Ces deux exemples montrent la possibilité de modifier les comportements
ultérieurs de l'animal par des interventions sur les conditions
d'élevage du jeune animal.
2.2. Problèmes de génétique du comportement
Les caractères de comportement sont généralement difficiles
à sélectionner, non pas parce qu'ils présentent des
héritabilités différentes de celles des autres
caractères, mais en raison des difficultés rencontrées
quand on veut mesurer rapidement le comportement d'un grand nombre d'animaux.
Il est cependant de plus en plus important de sélectionner les animaux
domestiques, et en particulier les oiseaux, pour leur comportement, dans
la mesure où le milieu de sélection est souvent différent
du milieu d'élevage. C'est en particulier le cas pour les «
reproductrices chair » ou leurs descendants qui sont toujours
élevés au sol alors que les souches parentales sont
sélectionnées en cages-batteries. Jusqu'au milieu des années
60, les reproductrices chair étaient sélectionnées au
sol et les poules présentant des comportements de ponte au sol (hors
des nids-trappe) ou de couvaison étaient éliminées.
Depuis que la sélection se fait en cage, les animaux susceptibles
de présenter ces comportements ne sont plus éliminés,
puisque le milieu de sélection ne permet pas leur expression, et on
rencontre de plus en plus de problèmes de ponte au sol ou de couvaison
en élevage de reproductrices chair.
On peut sélectionner des animaux bien adaptés à un
environnement donné ou des animaux très adaptables. La
deuxième solution semble de loin la meilleure. En effet, les conditions
d'élevage ont largement évolué au cours des dernières
décennies et il est probable qu'elles évoluent encore. La
sélection est un processus relativement lent et la sélection
d'animaux trop spécialisés pourrait être inefficace si,
pendant tout le temps qu'a pris le processus de sélection, les conditions
d'élevage ont évolué de manière trop importante.
Figure 8. Schéma de l'appareil utilisé pour la mesure
de la motivation sociale
Il est composé d'une petite cage, où est placé un groupe
de cailleteaux stimuli, séparé de la grande cage par un grillage.
Le cailleteau testé est placé dans la cage sur un tapis roulant
qui se déplace si le cailleteau testé s'avance vers le groupe
de congénères.
2.3. Génétique : l'exemple de la sélection des cailles
Une sélection des cailles pour leur comportement a été
entreprise sur deux critères : l'immobilité tonique (mesure
de l'émotivité) et la motivation sociale.
Ces deux critères ont été choisis car ils présentent
l'avantage de s'exprimer quel que soit le milieu d'élevage. Ils sont
relativement faciles à mesurer et peuvent présenter un
intérêt pratique puisqu'une faible émotivité devrait
permettre d'avoir des animaux moins sensibles aux perturbations et qu'une
forte motivation sociale pourrait entraîner une plus grande tolérance
aux fortes densités (nombre d'individus au m2). La caille a
été choisie comme modèle en raison de son faible intervalle
entre générations (jusqu'à 4 générations
par an).
Figure 9. Résultats de la sélection de deux lignées
divergentes de cailles sur leur durée d'immobilité tonique
(en ordonnée, en secondes).
E+ : lignée à durée d'immobilité tonique longue
; E- : lignée à durée d'immobilité tonique courte
; T : témoin.
En abscisse : Générations de sélection.
Figure 10. Résultats de la sélection de deux lignées
divergentes de cailles sur leur motivation sociale (en ordonnée en
secondes) ;
S+ : lignée à regroupement social fort ; S- lignée de
regroupement social faible ; T : témoin.
En abscisse : génération de sélection
a) Méthode de sélection
La réaction d'immobilité tonique est obtenue en plaçant
l'animal sur le dos et en le maintenant pendant 10 secondes dans cette position.
Une fois lâché, l'animal peut rester immobile pendant un temps
qui varie de quelques secondes à quelques heures. Dans le cas de notre
sélection, nous interrompons l'épreuve après 5 minutes
d'immobilité si l'animal ne s'est pas redressé ou au moment
où il se redresse si la durée d'immobilité est
inférieure à 5 minutes.
La motivation sociale est estimée par la distance parcourue par le
cailleteau sur un tapis roulant pour rejoindre un groupe de
congénères (fig. 8).
b) Résultats de la sélection
Les figures 9 et 10 montrent que dans les deux types de lignées la sélection a été très efficace et que les souches diffèrent largement pour les deux caractères sélectionnés. Nous disposons donc de 4 lignées sélectionnées : émotivité forte (E+) ou faible (E-), motivation sociale forte (S+) ou faible (S-), et de 2 lignées témoins. Ces différentes lignées ont été comparées à travers de nombreuses épreuves de réactivité comportementale et physiologique.
Les tests utilisés sont :
- le test d'openfield : l'animal est placé seul, dans un environnement
nouveau et son activité ainsi que les latences (temps entre le début
du test et l'émission du premier cri) et fréquences (nombre
par unité de temps) des cris et des sauts sont notées pendant
une période de 5 mn ;
- le test d'émergence : l'animal est placé, seul, dans une
boîte obscure au centre d'un milieu éclairé. Le temps
de sortie de la boîte mesure la « timidité » de l'oiseau
;
le test de crainte : l'animal est immobilisé pendant 10 mn (stress).
La durée d'immobilité tonique est ensuite mesurée
;l'exposition à un stimulus inhabituel : un ballon de baudruche est
introduit dans la cage où vivent les cailleteaux ;
l'enrichissement de l'environnement et la manipulation des individus : les
animaux sont élevés dans un milieu enrichi (présence
de nombreux objets colorés) ou non et sont manipulés ;
- la mesure des distances inter-individuelles pendant un test d'open-field
en paires, d'une durée de 10 mn par trajectométrie (enregistrement
du trajet parcouru par analyse d'images vidéo au moyen d'un programme
informatique) ;
la facilitation sociale du comportement alimentaire : elle est mesurée
par la latence d'alimentation de cailleteaux placés devant un aliment
nouveau en présence ou non d'un groupe de cailleteaux habitués
à cet aliment et séparés des animaux testés par
un grillage ;
le test d'isolement : un cailleteau est isolé dans une cage identique
à celle dans laquelle il a été élevé.
Voici, résumées, les réponses des cailles à ces
différentes épreuves :
- les cailles émotives (E+) comparées aux cailles peu
émotives(E-) sont moins actives en open-field, sortent plus lentement
de la boîte dans le test de timidité, présentent une
inhibition comportementale plus longue à la suite d'un stimulus auditif
inhabituel, sont les seules à présenter une augmentation du
taux de corticostérone plasmatique à la suite d'un stimulus
visuel inhabituel (le ballon de baudruche), sont moins sensibles à
la manipulation ou à l'enrichissement du milieu ;
- par ailleurs, les cailles à forte motivation sociale (S+)
comparées à celles de la lignée à faible motivation
sociale (S-) sont plus actives, crient et sautent plus au cours d'un test
d'open-field, recherchent plus la proximité des congénères,
présentent des distances inter-individuelles plus faibles en test
d'open-field par paire, présentent une facilitation sociale du
comportement alimentaire (absent chez les cailles S-), sont les seules à
présenter une augmentation des cris, des sauts, de l'activité,
du taux plasmatique de corticostérone et du rapport
hétérophiles/lymphocytes au cours d'un test d'isolement.
L'ensemble de ces résultats est cohérent puisque chez les cailles
sélectionnées pour leur émotivité, les
différences se manifestent lors des épreuves impliquant une
forte nouveauté de la situation de test alors que chez les cailles
sélectionnées pour leur motivation sociale c'est l'aspect social
de la situation qui permet de mettre en évidence des différences
entre les deux souches.
2.4. Applications possibles
Trois types d'applications sont possibles avec une approche visant à
modifier l'animal pour l'adapter à son environnement :
- une meilleure connaissance de l'ontogenèse des animaux peut permettre
de modifier l'environnement des juvéniles afin d'adapter leur comportement
aux conditions qu'ils rencontreront à l'âge adulte. Le travail
d'Appleby et ses collaborateurs (1988) en est une bonne illustration ; ces
auteurs ont montré en effet que dans le cas de pondeuses
élevées au sol et devant se percher pour accéder aux
nids, la présence de perchoirs dès l'âge de 4 semaines
permet aux poules adultes d'avoir un taux de ponte au sol très
inférieur à celui d'animaux n'ayant eu accès à
des perchoirs qu'à un âge plus tardif ;
- une meilleure connaissance des caractéristiques des lignées
existantes peut bien sûr permettre de choisir celles qui sont le mieux
adaptées à un type de production ;
- la mise au point de tests de comportement suffisamment courts pour être
utilisables en sélection, ainsi que la démonstration des effets
favorables de ce type de sélection doit enfin permettre d'offrir aux
sélectionneurs des moyens d'améliorer l'adaptabilité
de leurs lignées.
Actuellement, les éleveurs privilégient l'élevage des poules en cage alors que les protecteurs des animaux y sont farouchement opposés. La cage est surtout critiquée pour le manque d'espace disponible et l'absence de litière. Ces deux facteurs ne semblent cependant pas essentiels pour la poule. La cage présente en tous cas l'avantage de réduire les risques de cannibalisme (2) (et donc de supprimer la nécessité du débecquage) ainsi que les risques sanitaires. Elle a certes l'inconvénient de restreindre la liberté des animaux et leurs possibilités d'exprimer l'ensemble de leurs comportements.
Les systèmes « alternatifs » (élevage sur litière ou en volière avec ou sans parcours herbeux) présentent les caractéristiques inverses : risques de cannibalisme et risques sanitaires importants, mais plus grande liberté des animaux. Il y a donc opposition entre, d'une part, un milieu très contrôlé par l'éleveur et, d'autre part, un milieu dont la maîtrise est incomplète tant sur le plan sanitaire que climatique ou comportemental.
Les deux types d'approches présentés ici nous ont permis de montrer que l'on peut , d'une part, améliorer les conditions d'élevage, à condition de connaître les besoins des animaux et, d'autre part, améliorer leur adaptation aux conditions qui leur sont imposées. Ces deux types d'approche utilisés de manière conjointe devraient permettre d'arriver à un compromis entre les demandes des éleveurs et celles des protecteurs des animaux si les deux parties acceptent de placer le débat sur un plan rationnel .
[R] Modes d'élevage des poules et des poulets
(Encadré)
Toutes les poules en sélection étaient élevées
au sol, c'est-à-dire dans des enclos dont le sol est recouvert de
copeaux ou de paille. La ponte individuelle était contrôlée
grâce à des nids-trappes, nids qui se ferment quand la poule
y est entrée. L'éleveur pouvait donc recueillir dans le nid
l'oeuf et la poule qui l'avait pondu.
Depuis le début des années 60, toutes les poules en sélection
sont élevées en cages-batterie individuelle. Ce sont des
parallélépipèdes grillagés (sol et parois)
disposés sur plusieurs étages (photo ci-dessous).
Plus de 90% des poules pondeuses sont aussi élevées en
cages-batterie, mais dans des cages collectives contenant 3 à 6 individus.
Les avantages de la cage-batterie sont une réduction du cannibalisme,
un meilleur contrôle des conditions sanitaires et une réduction
des coûts de production.
En revanche, les poules reproductrices chair (les mères des poulets)
sont élevées dans de grands poulaillers, au sol, en bandes
des quelques milliers, voire de quelques dizaines de milliers. Les poulets
sont, eux aussi, toujours élevés au sol.
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(1) Epreuve pendant laquelle un animal est placé
durant une période courte (généralement de quelques
minutes) dans un environnement pauvre. Ce test est très fréquemment
utilisé pour tester les réactions émotives des rongeurs
de laboratoire ou des gallinacés.[VU]
(2) Le cannibalisme est un comportement anormal de la poule.
On observe relativement fréquemment que, si une poule est blessée,
ses congénères semblent attirées par la blessure et
la piquent, entraînant l'élargissement de la blessure et, à
terme, la mort de la poule blessée. Ce comportement est relativement
fréquent chez les poules élevées au sol en grands groupes
alors qu'il est rare pour des poules élevées en cages-batterie
en petits groupes[VU]